Articles de presse |
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Notre Monde sur grand écran
Notre Monde - Faites de la politique et si possible autrement © - 2013 / Hervé Pauchon | ||||
La lumière sort des salles obscures et éclaire Notre Monde !
"Notre Monde" se projette sur grand écran depuis le 13 mars. Un monde mis en lumière par le réalisateur, Thomas Lacoste, avec la parole pour interprète principale. La parole de philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains... qui analysent et dénoncent les travers de notre temps, et ouvrent d'autres pistes. Une parole filmée qui prend tout son temps pour délier les pensées, ouvrir des espaces nouveaux, loin de cette antienne : « on ne peut pas faire autrement ». | ||||
Cassandre, avril 2013 Un autre monde est làSortie cinéma du 13 mars Dans Notre Monde, le réalisateur Thomas Lacoste réunit la fine fleur des intellectuels français pour imaginer la repolitisation du monde. Entretien.
Notre Monde, de Thomas Lacoste, est un étrange objet dans le paysage cinématographique. Un concentré d'intelligences qui relève le défi du passage à l'écran, et dont le casting ravit les aficionados des débats, ceux que ne terrorisent pas la « prise de tête », ceux pour qui nulle action ne saurait exister sans pensée. Un défi à ce que Peter Watkins appelle « la monoforme », et qui voudrait que notre capacité de concentration face à l'écran ne survive pas à une séquence sans mouvements frénétiques et chevauchées fantastiques. Bref, à ceux pour qui le cinéma se résume au mot « Action ! ».
Valérie de Saint-Do |
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Les Inrockuptibles 13/03/2013 Un film-outilSortie cinéma du 13 mars Dans Notre Monde, le réalisateur Thomas Lacoste réunit la fine fleur des intellectuels français pour imaginer la repolitisation du monde. Entretien.
Initié et réalisé par l’activiste Thomas Lacoste, voilà un projet cinématographique sortant de l’ordinaire. Lacoste a réuni devant ses caméras (tenues par Irina Lubtchansky) la fine fleur des penseurs français, de Jean-Luc Nancy à Susan George, de Pap Ndiaye à Sophie Wahnich, de Nacira Guénif-Souilamas à Étienne Balibar, d’Éric Fassin à Luc Boltanski… Faire dialoguer en un même lieu autant de paroles diverses tant par les disciplines, les courants de pensée, les origines, les âges, les sexes est déjà une rareté en soi. Mais filmer ces discours et ces idées en les incarnant, les ordonner et les articuler par le montage, et faire advenir à l’écran leur complexité, leur cheminement, leur limpidité, leur utilité, c’est un spectacle extraordinaire. Pédagogique, stimulant, utile, Notre monde est un film d’intervention politique et sociale au sens le plus fort du terme.
Les Inrocks : Notre Monde est-il un documentaire, un film-tract, un film d’intervention ? Comment le définirais-tu ? Thomas Lacoste : L'antinomie documentaire versus fiction est toujours problématique à mes yeux, comme souvent les grilles disciplinaires. Certes, il y a un peu de tout cela : de l’intervention, du manifeste etc. Mais nous cherchons à dépasser et à subvertir ces notions et à nous déplacer sur d’autres territoires, en faisant appel à la fiction par exemple – qui est le soubassement structurant du film qui charrie les murmures fracassants de l’écriture de Marie Ndiaye et d’un de ses personnages, la bouleversante Khady Demba –, ou encore en s’appuyant sur la création sonore (avec le travail musical minutieux d’Olivier Samouillan), etc. Notre Monde est un objet cinématographique non identifié. Un film en acte. L’histoire d’une vie et de ses potentialités (politiques, affectives, esthétiques) contenues dans une phrase cinématographique qui s’adresse à toutes et tous. Une phrase-monde qui cherche à nous regarder, à dire de l’insupportable du présent, du jusqu’où et du jusqu’à quand… De l’insoutenable et du souhaitable. Cela passe par différents chapitres : l’éducation, la santé, les libertés publiques, les frontières, les médias, la culture, le travail, l’économie, les politiques internationales, les conditions de la démocratie, pour finir sur les nouveaux lieux du politique. L’écologie est malheureusement absente à cause d’un incident de tournage qui n’a pas permis à Geneviève Azam de nous retrouver pour la captation de la soirée publique (le 11 avril dernier à la Maison des métallos, ndlr). Faute de mieux, et conscient du non-lieu, je nomme ces objets cinématographiques, ciné-frontières. Ce qui ne les empêche pas de s’inscrire ou de se reconnaître – entendu que la création ex nihilo n’existe pas – dans une certaine histoire du cinéma : Vertov, Godard, Pasolini, Debord, Marker, Watkins, Kramer, Keuken ou plus récemment Des Pallières, pour citer les plus connus. Un des enjeux pour nous, avec ce film, était de donner corps à la pensée (avec l’aide de notre chef op, la chevronnée Irina Lubtchansky), de filmer des voix et des corps qui pensent, en plaçant le spectateur(-actif) au plus près de celui qui parle. Dans ce rapprochement, nous cherchions à créer une inquiétante douceur, une proximité charnelle, un rapport direct et sans médiation à la recherche d’une expérience politique exigeante et collective. Notre Monde tente de faire survenir une conversation rapprochée (de celles qui manquent tant aujourd’hui à notre monde…), de repenser radicalement ce que pourrait être la transmission, celle qui met en cause nos représentations et qui arriverait, enfin, à nous déplacer. "La salle de cinéma est un des derniers endroits, dans nos sociétés, Les idées passent habituellement par les livres, les journaux. Pourquoi recourir au cinéma ? Pour ma part, je viens de l’écrit, de la ligne. À vingt ans, au début des années 90, au moment où le monde se présentait comme unipolaire et où disparaissaient dans le même temps les lieux du politique, j’ai créé la revue de pensée critique Le Passant ordinaire. C’était une revue marquée par la philo-politique et la nécessité d’une pensée transversale entre les sciences humaines (disciplines et écoles) et formelles, fortement ouverte aux arts (littés et poésies contemporaines, cinémas et photographies, arts plastiques et musiques). Si je reste très attaché aux textes, il me semble que le cinéma et sa salle recèlent une puissance politique qui en fait sûrement le dernier lieu commun où se nichent secrètement de fortes charges subversives. C’est un des derniers endroits, dans nos sociétés, où peuvent cohabiter dans un même espace des publics très différents, des énoncés dissonants et des formes très variées et exigeantes. C’est l’une des dernières cavernes susceptibles d’accueillir le peuple – ce fameux peuple à venir, cher à Deleuze –, et où il scintille encore un peu d’espoir. Bref, maintenant c’est là, dans cette caverne, que j’ai envie de vivre, de partager et de converser avec le plus grand nombre. Comment as-tu conçu et préparé Notre Monde ? Cela s’est fait très vite, en moins d’un mois, en mars dernier. Je connaissais bien les intervenants aux côtés desquels je travaille depuis longtemps (plus de 20 ans pour certains). Nous avions donc une confiance réciproque très forte. Mais l’important n’est pas là. Ce qui a été très surprenant, au moment du choix du « casting », c’est la mobilisation générale de l’ensemble de nos amis. Nous n’avons compté quasiment aucun refus, aucune défection, alors que nous tournions sur une fenêtre temporelle extrêmement serrée de dix jours, dont une journée (à l’ENS, le 7 avril dernier, ndlr.) et une soirée publique (aux Métallos). Cela dit quelque chose de très important, me semble-t-il, sur le moment historique que nous vivons, qui n’est pas une simple crise, si violente soit-elle, mais un véritable tournant civilisationnel. Plus de 35 intellectuels et praticiens qui se retrouvent, malgré leurs divergences, sur un projet commun de déconstruction et de repolitisation de notre monde, d’abord cela ne s’est jamais vu au cinéma (et très rarement, voire jamais, dans l’édition, même au pire moment de notre histoire). Mais surtout, cela dit de l’urgence à retrouver du lien, à réapprendre à voir, à tenter de nouveaux rapports et de nouvelles formes, à faire circuler de nouvelles réflexions, à tendre vers une pensée commune pour sortir au plus vite des croyances collectives, infiniment mortelles, véhiculées par les valeurs économico-financières et le grand délire sous-jacent d’« enrichissement » sans limite qui définit la sénilité du capitalisme du moment. Quel dispositif de mise en scène de la parole as-tu voulu privilégier ? C’est une drôle d’histoire que celle de ce film et de son dispositif. Au commencement, il y a eu, au petit matin du lundi 2 janvier 2012, l’incendie criminel des locaux de La Bande Passante, qui sont également mon domicile et le lieu où se trouvait feu ma bibliothèque, trente ans de lecture, dix mille ouvrages, toutes mes notes et l’ensemble de mes archives numériques – qui ont été, par ailleurs, volées ce matin-là. Bref, quelque chose qui a à voir avec la sidération, le surgissement des ténèbres, de la nuit et de ses brouillards. Je venais d’avoir quarante ans ; et de cet ossuaire, de ces cendres, je voulais voir s’il était possible de retrouver des lucioles, de montrer que la nuit n’est pas que ténèbres, qu’elle est aussi chargée de multiples puissances et de résistances. Dans ce « on n’y voit rien » du regretté Daniel Arasse, je voulais montrer que se cachait aussi la chance de réapprendre à voir, de réinventer du regard et donc du donner à penser… C’est ainsi que nous sommes partis, avec Irina Lubtchansky, sur l’idée d’une scène, la caverne, du noir et de ces corps éclairés dans le vacillement de la bougie. Nous avions en tête la double volonté de faire surgir ces frêles mais puissantes pensées, mais aussi de préserver, pour le regardant, un lieu : le noir, comme support de projection onirique de ses propres pensées et représentations. Nous étions à la recherche d’un certain éloge de l’ombre et de l’impur, sur les chemins déjà esquissés par Tanizaki. D’où vient cette proximité affective et intellectuelle avec tous ces penseurs critiques ? Comment s’est-elle constituée ? C’est l’histoire d’une vie… C’est passé d’abord, dès mon plus jeune âge, par les livres et des rencontres déterminantes, le travail avec la revue Le Passant Ordinaire et les éditions du même nom et cela s’est scellé dans des amitiés fortes et indéfectibles, au-delà de la mort. La vie intellectuelle en France est-elle selon toi plutôt endormie ou plutôt vivace ? Aux vues des temps, il nous faudra toujours plus de vivacité et d’impertinence. La vie intellectuelle en France, comme ailleurs, meurt de l’étroitesse d’esprit de ses territoires de plus en plus confisqués et surveillés par des héritiers fascinés, eux aussi, par le pur et le natif, quand elle n’est pas, comme ce que nous voyons à l’œuvre à l’Université, tout simplement privatisée par le libéralisme et ses nombreux valets. Il faut impérativement déminer ces clans et chasses gardées. Remplacer toutes ces frontières par des ponts. Réapprendre à se lire et à traduire, à danser sur les frontières, et parier à nouveau sur la force des ressors du dissensus. En deçà, point de salut. Si la communauté des femmes et des hommes sans communauté et sans appartenance scintille comme un rêve lointain dans nos esprits, esquisser avec le plus grand nombre ce que pourrait être ou devrait être le commun en ces temps d’inimitiés et de défiances généralisées, où partout se dressent pour la énième fois les nationalismes, nous paraît une tâche difficile mais digne. C’est le pari de ton film ! Pour partie, en effet. Il y a une nécessité vitale à retrouver l’autre, à réapprendre à converser, à tisser des liens. Mais l’objectif premier du film est de charger le regardant d’une raison nomade et sensible (comme l’ont très bien développé Borreil et Rancière), de lui faire expérimenter qu’il n’est pas et ne peut plus être simple spectateur de ce monde, que cette place est, là encore, mortelle. Au bas mot, nous avons tous à travailler à un devenir de traducteur, de passeur et d’acteur. C’est aussi l’enjeu de la pensée commune. Et c’est précisément ces trois figures que Marianne Denicourt endosse dans le film avec ses trois personnages : la lectrice-traductrice qui, dans un chuchotement, porte à l’oreille du spectateur la vie de cette migrante, Khady Demba, comme une contre-narration, un mode mineur que la société et ses institutions refusent d’entendre, mais qui est pourtant irrésistiblement et radicalement puissant ; la figure du passeur, lorsque nous retrouvons Marianne en femme à la caméra, qui cadre, enregistre et transmet la pensée en train de couler (et nous qui déconstruisons avec elle le film en train de se faire) ; et enfin, Marianne la citoyenne, actrice de sa vie qui, à la fin du film (et de sa journée de travail, de tournage), s’interroge sur ce que peut ou non le cinéma, sur les rapports entre esthétique et politique, et propose, dans une adresse directe au spectateur, pendant le générique de fin et dans le noir, une invitation à faire de la politique... autrement. C'est là que se niche toute la maïeutique du film. La condition du politique coule aussi de cette volonté de nous situer également du côté de l’intime et du personnel, comme position et lieu de résistance, et ainsi marquer une rupture de discours dans la structure du récit de Notre Monde. Marianne Denicourt – ainsi qu’Elsa Dorlin – nous parle aussi, avec ces trois personnages, de la puissance qui réside dans les devenirs minoritaires, c’est son premier terme ; de l’importance du dévoilement et de la représentation des structures ; pour marquer, enfin, et c’est le troisième terme, puissance et force politique. "Il y a une nécessité vitale à retrouver l’autre, à réapprendre à converser, à tisser des liens." Tu te vois comme un fédérateur de cette scène intellectuelle ? Non, en aucun cas. Mon travail cinématographique, avec nos amis, est de tenter au mieux de rendre visible l’invisible. De donner à voir ce qui n’est pas, et pour cause, éclairé. Si je ne crois pas à l’art comme baguette magique du politique, je pense cependant profondément à la possible performativité des formes et des pensées quand elles se lient aux affects du plus grand nombre. Les ciné-frontières sont des lieux d’utopos, de prolifération d’espaces, de narrations, de savoirs, de formes, etc. En ce sens, ce sont des hétérotopies comme les définissait Foucault. Des hétérotopies radicales et proliférantes qui ont sûrement pour première fonction de faire tomber les frontières et de dévoiler au regard l’étendue du territoire. Mais il est important de comprendre que pour que ces idées, ces formes, permettent de faire bouger nos vies, il faut qu’elles s’entrelacent à nos affects ; et quand ces idées ou ces concepts rencontrent la puissance des affects collectifs, c’est alors la société qui peut se mettre en mouvement. Mais sans affect, pas de mouvement. La puissance du concept, l’idée pure, seule, n’y peut rien. Qu’espères-tu des effets du film ? L’affiche du film propose un retournement. Elle montre, dans une captation réalisée depuis l’écran de projection, une actrice de dos au premier plan : la comédienne Marianne Denicourt, qui n’est pas devant mais derrière une caméra, à ses commandes, et qui filme une salle énigmatiquement vide. Durant le film, cette salle se peuple lentement, puis les spectateurs se mettent au travail. En ce sens, ils passent d’une situation passive à une position d’acteur. L’idée (rêvée ?) est qu’à la fin de chaque séance, une agora se crée ; que la salle se mette à faire de la politique… Partout où nous le pouvons, nous organisons des débats après les projections. C’est aussi dans ce sens que nous avons pensé (avec Agat, Sister et Shellac) le site internet de Notre Monde[5] . C’est un lieu où l’on retrouve en libre accès les entretiens, dans leur version longue, de chacun des intervenants et de quelques autres, tout aussi important : Hourya Bentouhami, Barbara Cassin, Monique Chemillier-Gendreau, François Chesnais, Claude Corman, Thomas Coutrot, Keith Dixon, Mathilde Dupré, Alain Mercuel et Frédéric Neyrat ; mais aussi les retours des spectateurs, les captations des débats, etc. Il y a déjà en ligne quelques traces très émouvantes des avant-premières qui ont eu lieu à Aix-en-Provence, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Conflans, Montpellier, Nantes, Orléans, Paris, Strasbourg, Uzès, sous forme de verbatims, de reportage sonore ou de vidéo. Bref, un au-delà du film en devenir, qui sera enrichi de ce que les spectateurs, devenus acteurs de Notre Monde, voudront bien déposer et investir. La suite reste ensemble à écrire… Es-tu surpris des premières impressions du public ? Comment expliques-tu cette réception enthousiaste ? La meilleure réponse nous a été formulée lors d’une avant-première par un tout jeune homme des quartiers nord (et populaires) de Clermont-Ferrand qui a perdu son frère en janvier 2012 (mort suite à un lynchage policier que la justice tarde à condamner et qui avait déclenché, dans ces mêmes quartiers, de vives échauffourées entre jeunes et policiers). Il parlait avec beaucoup de discernement de la joie d’être enfin confronté à des pensés exigeantes, loin du prêt-à-penser dans lequel on les enferme (à l’école, à la télé, dans la cité, etc.). Il disait combien le film leur apportait et les confortait ; combien il leur importait que l'on s'adresse à eux du plus haut de nos savoirs ; et combien il leur semblait urgent de (re)penser ensemble le commun. Il semble y avoir une forte charge vitale et subversive dans la reconnaissance de cette joie-là. Penses-tu que les politiques puissent s’y intéresser ? Dans un monde où les politiques auraient une certaine idée de la responsabilité, il est certain qu’ils s’intéresseraient au monde des idées et de l’art, et à la puissance délibérative des citoyens… Dans notre monde, qu’est ce qu’il te semble le plus inquiétant aujourd’hui ? À l’évidence, le retour de la croyance (dans la négation de tous les savoirs articulés au fil des siècles) ; les croyances liées aux valeurs économico-financières et toutes les violences qu’elles charrient : l’exclusion, l’individualisme, le « libre arbitre », l’évaluation, l'excellence, l’« enrichissement » sans limite, etc. Toute une série de dominations et de fractures sociales plus ou moins cachées qu’il nous faut déconstruire au plus vite. Notre prochain projet, avant de nous lancer corps et âmes dans la fiction, sera précisément de libérer les concepts, de faire des portraits cinématographiques d’idées, de concepts philosophiques et politiques, afin de voir ce que cela produira comme nouveaux agencements chez nos jeunes concitoyens dans leurs amours, au travail, chômé ou non, dans leurs vies, dans leurs rêves et… dans notre monde. Quelque chose me dit que, si cela n’a jamais était fait auparavant dans l’histoire de l’humanité, que les appareillages théoriques et conceptuels ont été soigneusement et invariablement tenus à l’écart des populations, c’est qu’il y a un réel intérêt à libérer ces idées et à confectionner, à l’usage du plus grand nombre, de nouvelles boîtes à outils éthiques et politiques. Ce sera donc l’objet de cette encyclopédie conceptuelle filmique. À bon entendeur... Propos recueillis par Jean-Marie Durand et Serge Kaganski |
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L'Express 11/03/2013 Notre Monde
L'Express décortique Notre monde, le nouveau documentaire de Thomas Lacoste. Oui, rien que ça. Le cinéaste Thomas Lacoste a réuni une belle brochette de penseurs pour réfléchir à Notre monde. Mais encore ? Ça parle : En avril 2012, avant l'élection présidentielle, 35 personnalités se sont retrouvées devant la caméra de Thomas Lacoste pour apporter leurs lumières sur des sujets de campagne comme l'éducation, la santé ou l'économie (entre autres). Oui, rien que ça. Ça réfléchit : Avec environ cinq minutes pour s'exprimer, le philosophe Etienne Balibar, le sociologue Luc Boltanski ou le psychanalyste Bertrand Ogilvie (notamment) livrent leur constat alarmant et leurs solutions révolutionnaires. Oui, rien que ça. Ça fonctionne : Simple et élégant, ce documentaire permet de se frotter à des manières différentes de concevoir notre société, et de s'ouvrir les horizons. Oui, rien que ça. Mais n'est-ce pas l'essentiel ?
Welter Julien |
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France Inter 21/03/2013 Thomas Lacoste filme Notre MondeThomas Lacoste et Christophe Dejours sont les invités de "L'Humeur vagabonde" sur France Inter Thomas Lacoste et Christophe Dejours sont ce soir les invités de l'Humeur Vagabonde pour le documentaire Notre monde, sorti en salles le 13 mars 2013
Thomas Lacoste est un drôle de type qui croit encore à la prééminence de l'intelligence et au pouvoir des mots, quitte à en payer le prix. Après fondé en 1994 la revue internationale de pensée critique « le passant ordinaire » et en 2009 le réseau international « la bande passante », il a aussi réalisé plus d'une soixantaine de films et entretiens, tous édités en coffret par les éditions Montparnasse. Il récidive brillamment avec la sortie en salles de Notre Monde, deux heures passionnantes qui rassemblent 35 intervenants, philosophes, sociologues, enseignants, magistrats, économistes, pour dresser l'état des lieux et proposer des pistes pour refonder une société plus juste. Parmi eux, le psychiatre Christophe Dejours, spécialiste de la souffrance au travail. Kathleen Evin |
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Petite revue de presse de Notre Monde
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Par Genoudet Adrien Fond souverain
Là où l'on répète jusqu'à la nausée que le temps de ce monde s'accélère et va dans le mur, le nouveau documentaire, exigeant et ambitieux, de Thomas Lacoste se présente comme un coup d'arrêt qui a tous les atours d'un manifeste politique. L'invite est simple : s'arrêter, se placer dans une dynamique de réflexion commune et tenter d'estimer Notre Monde.Notre Monde. Marianne Denicourt sur le plateau de Notre Monde Le fond est noir ; l’arrière-plan commun à chaque intervenant semble un moyen de mêler dans un même ensemble le fond de la pensée du film. Tout est une question de fond dans ce documentaire qui fait le pari de laisser la seule parole remplir l’espace. Après deux heures de projection, le spectateur aura vu défiler une myriade d’intellectuels divers – philosophes, sociologues, économistes, magistrats, plus de trente-cinq en tout – assis, le regard et la voix posés, s’essayant à l’exercice périlleux du diagnostic actuel de la société. Si la forme joue de sa simplicité – entretiens courts ponctués de lectures ou de plans de coupe sur un public –, Notre monde renoue avec l’idée d’un cinéma politique. Intellectuel actif depuis plusieurs années, Thomas Lacoste y poursuit les entretiens esquissés dans Penser critique (2012). Si ce film s’affiche comme nécessaire, c’est bien parce que ses différentes voix s’y fondent comme une chorale intimant un sens – si ce n’est un but – à la perdition de certains repères fondamentaux de la société : interroger le contemporain par des tonalités plurielles, les confronter et les additionner dans le but d’amorcer une « commune pensée ». « Faites de la politique », nous dit Lacoste comme pour nous alerter sur l’absence d’engagement dont font preuve les nouvelles générations. Rythmé par des extraits de Trois Femmes puissantes de Marie NDiaye lus par Marianne Denicourt, Notre monde trace les contours d’une croyance éclairée dans le politique et dans sa capacité, dès lors qu’il est mû par le fond, à initier un renouveau sociétal. 3 raisons d’aller voir ce film : 1… Pour découvrir les « ciné-frontières » : Thomas Lacoste travaille depuis plusieurs années sur ce concept d’un cinéma permettant, par les entretiens et l’ouverture artistique, la réflexion 2… Pour apprécier la diversité, rare, des intervenants et de leurs avis complémentaires. L’ouverture philosophique prônée par Jean-Luc Nancy incarne à elle seule l’âme du film. 3… Parce qu’il interroge pleinement les enjeux contemporains à un moment où la société a besoin de se distancier des multiples
Genoudet Adrien |
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Par Barondeau Véronique Penser Notre Monde
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L'Express 11/03/2013 Notre MondeSortie cinéma du 13 mars L'Express décortique Notre monde, le nouveau documentaire de Thomas Lacoste. Oui, rien que ça. Le cinéaste Thomas Lacoste a réuni une belle brochette de penseurs pour réfléchir à Notre monde. Mais encore ? Julien Welter |
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Entretien sonore avec Eric Alt et Thomas Lacoste pour l'émission "Cinérama" de Vincent Pourrageau de Radio Divergence. |
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Sud-Ouest Dimanche du 10 mars 2013
Le Beau rêve d’une agora
Thomas Lacoste a réalisé Notre Monde, entre documentaire et poésie, où une trentaine d’intervenants remarquables pensent notre société
Depuis des années, Thomas Lacoste balise les chemins de la connaissance. Il a fréquenté les penseurs les plus éminents, théorisé mille fois la marche du monde et, inlassablement, cherché à décloisonner les disciplines, à mettre en relation savoir et réalité, élites et profanes, discours et incarnation.
SOD : La maison de production Agat films (1) s’est intéressée au projet assez tôt, lui donnant ainsi plus d’amplitude. Comment est-ce arrivé? Comment avez-vous convaincu les intervenants que vous filmez – qui vont d’Etienne Balibar à François Héritier en passant par Susan George, Luc Boltanski, Jean-Luc Nancy, Michel Butel, Christophe Dejours, Toni Negri, Elsa Dorlin ou Pap Ndiaye pour ne citer qu’eux ? Néanmoins le film interroge l’élite… Vous trouvez que la presse ne joue pas son rôle, qu’elle ne donne pas assez la parole à ceux qui ont des choses à dire ? C’est un film où parle l’élite mais qui ne s’adresse pas à l’élite ? Notre Monde une forme artistique affirmée, c’est un document cinématographique où se mêle la fiction, le théâtre, la création sonore, où chacun parle d’un espace sombre…
Justement, Notre monde est une fiction ou un documentaire ? Il y avait une ligne générale pour les participants ? Ces fameux leviers politiques sont comme des notes d’espérance… Il y aura une suite à Notre monde ou un moyen de rebondir, de poursuivre le questionnement ? Quand on regarde la profusion de ta production, on se dit qu’il faut un sacré moteur… Transmetteur, passeur, intellectuel, cinéphile, ciné-fils, artiste ?
Un cinéaste engagé 19 janvier 1972 : il naît à Bordeaux
Un site : www.notremonde-lefilm.com
Sud-Ouest Dimanche du 10 mars 2013 |
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Par Venturini Lionel Rêver de Notre Monde
Rassemblant plus de 35 intervenants dans des champs disciplinaires variés, le film de Thomas Lacoste se veut projet politique, pour encourager à une pensée commune. Avec le renfort d’Agat film, la société de production de Robert Guédiguian qui a risqué des fonds propres pour que le film acquière une autre échelle que celle des ciné-entretiens initiaux autoproduits, Notre Monde n’est qu’un pan de l’histoire, une « boîte à outils politique », et une façon, selon le réalisateur, de « répondre à l’interrogation de Sartre : est-ce donc nuire aux gens que de leur donner la liberté d’esprit ? » Rythmé par des extraits, lus par Marianne Denicourt, du dernier récit du roman Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, celui de l’apatride Khady Demba, « murmure continu » qui parcourt le film, Notre Monde se séquence comme un programme politique. Education, santé, justice, libertés, droit à la différence, travail et souffrances, économie et redistribution,… Seul manque à l’appel l’écologie, domaine porté par le site internet qui accompagne à la fois le film et porte autrement le projet, dans sa pérennité. Thomas Lacoste, venu au cinéma avec L’Autre campagne en 2007, n’a au fond jamais quitté le politique, pas plus lorsqu’il filme Ulysse clandestin en 2010 : on retrouve dans Notre monde quelques uns des intervenants déjà là, pour demander la suppression du ministère de l’identité nationale, Pap Ndiaye, Sophie Wahnich, Françoise Héritier, Luc Boltanski ou Eric Fassin. La liste des 35 personnalités présentes dans le film donne ainsi ce curieux vertige qu’une grande part d’entre elles sont des interlocuteurs réguliers de L’Humanité. De notre humanité. Il est à signaler que nous retrouvons également, en plus de Marianne Denicourt (qui porte trois personnages dans le film : "La lectrice" qui met en voix l'histoire de Khady Demba un personnage de Marie Ndiaye ; "La femme à la caméra" ; "Marianne la citoyenne"), les coutributions de Hourya Bentouhami, Barbara Cassin, Monique Chemillier-Gendreau, et Mathilde Dupré sur le site du film http://www.notremonde-lefilm.com (ndlr.). |
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Par Bauder Thomas Un « Notre Monde » est possible
Tourné à la veille de l'élection présidentielle de 2012, Notre Monde, de Thomas Lacoste tente de balayer l'ensemble du champ des transformations nécessaires à la société telle qu'elle ne va pas, telle qu'elle ne va plus. Un film à la croisée du document et de l'encyclopédie de la pensée progressiste, une (re)présentation cinématographique des savoirs philosophiques, politiques et sociaux. Une projection nécessaire. Jean Luc Nancy ouvre le bal avec une injonction intellectuelle forte, celle de la nécessité d’une radicalité plus grande encore que celle dont Lénine, en son temps, fît preuve ! Passant en revue l’ensemble des lieux où, depuis les philosophes grecs, s’élabore la pensée du monde, des académies aux universités jusqu’aux think-tanks actuels, Nancy fait le constat de leur caractère désormais obsolète, hors jeu, avant de proposer leur dépassement dans une « Commune Pensée » à la fois Commune refondée politiquement, re-pensée et nouveau lieu d’un échange intellectuel vital à l’heure ou la Raison et les Lumières sont en péril. Ce lieu, le film de Thomas Lacoste en est, sans nul doute l’une des premières pierres. Matériau d’images, Notre Monde joue au cinéma avec ce que celui ci oublie bien souvent : le verbe. Film de mots, d’idées, de propositions, cet objet audiovisuel joue en dehors de tous sentiers battus, choisissant progressivement de mettre à jour son dispositif filmique, de mettre en scène l’enregistrement des interventions, d’assumer une forme d’impureté esthétique en associant les séquences, celles du recueillement de la parole, dans l’intimité d’un face à face avec la caméra, à celles de la transmission devant le public de la Maison des Métalos, à Paris, où le projet s’est monté, sous la houlette d’un Robert Guédiguian ayant revêtu cette fois ci sa casquette de producteur. Plus qu’un casting prestigieux – en même temps penser qu’un film puisse se monter et se montrer avec au générique les noms de Nancy, Balibar, Bolstanski, Negri, Héritier, Bonduelle, Castel et même Jean Luc Godard, à la présence vocale … a quelque chose de jouissif dans le grand désert intellectuel du cinéma français - la liste des participants à cette « Commune Pensée » in progress permet de traverser de la façon la plus féconde qui soit les thèmes que sont « justice et liberté publiques », « frontières », « penser le travail », « conditions de la démocratie », « politique européenne », « santé », « éducation », « culture et média », sujets de débats indispensables. Involontairement pourtant, Notre Monde brosse, de par le choix de ses intervenants un portrait kaléidoscopique d’une pensée qu’on pourrait regretter être majoritairement masculine (à l’exception d’Elsa Dorlin, Susan George, Nacira Guénif Souilamas, Françoise Héritier, Sophie Wahnich…) et blanche (malgré les présences de Louis Georges Tin ou Pap Ndiaye). De même s’il est urgent de penser à nouveau le travail, n’en va t il pas de même pour l’urbanisme de la cité, l’engagement syndical, politique, ou encore l’écologie, grands absents de ce regroupement de prises de positions ? Conscient peut être de cela Notre Monde ne se limite néanmoins pas exclusivement à ce qui le constitue en tant que projection cinématographique, mais se conçoit aussi comme prolégomène aux débats avec son public. Contrairement à tant d’œuvres en salles, Notre Monde ne fait que chercher à s’ouvrir à l’issue de sa représentation, voire à disparaître en tant que spectacle, via la mise en ligne de l’ensemble et de l’intégralité des enregistrements, de ses rushes. On ne saurait donc trop conseiller d’aller voir à quoi ressemble Notre Monde accompagné de bon(ne)s camarades, voire d’assister aux nombreuses séances qui, dans les jours et les semaines à venir seront suivies d’un dialogue entre la salle et l’un des « personnages » sus-cité. Ainsi peut être seront réunies les conditions à l’émergence de cette Commune Pensée qu’appelle de ses voeux Jean Luc Nancy. Une étape nécessaire pour tous ceux qui pensent, mais différemment, qu’un « notre monde » est possible. Il est à signaler que nous retrouvons également, en plus de Marianne Denicourt (qui porte trois personnages dans le film : "La lectrice" qui met en voix l'histoire de Khady Demba un personnage de Marie Ndiaye ; "La femme à la caméra" ; "Marianne la citoyenne"), les coutributions de Hourya Bentouhami, Barbara Cassin, Monique Chemillier-Gendreau, et Mathilde Dupré sur le site du film http://www.notremonde-lefilm.com (ndlr.). |
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A gauche, puis à droite. A gauche, et encore à droite. La campagne présidentielle serait ennuyeuse. C'est mécanique. A force de balayer, tels des essuie-glaces, les mêmes thématiques autour des mêmes candidats, c'est-à-dire ceux qui arrivent dans le peloton de tête des sondages, l'on se lasserait. Certains seraient même tentés d'arrêter les essuie-glaces, pour ne plus entendre ce morne bruit qui n'arrive même plus à éclairer la route.
Et si on allait voir dans le coffre, peut-être y trouverait-on un trésor - en cherchant bien avec la lampe de poche ? Les pépites dont il est question, ici, sont éclairées par un projecteur de cinéma. Un film rempli de mots, d'idées et de propositions pour des lendemains plus réjouissants. Nous les avons découverts dans l'obscurité d'un studio de la Maison des métallos, à Paris, dans le 11e arrondissement. Depuis le 5 avril, le réalisateur Thomas Lacoste tourne dans le studio numéro 3, avec l'énergie et l'urgence que suscite l'approche du premier tour de l'élection présidentielle - rappelons-le, le dimanche 22 avril. Rarement autant d'intellectuels auront défilé devant une même caméra, pour parler de politique, décrypter les dysfonctionnements de leur champ d'étude et semer quelques graines, avec le désir de les voir pousser un jour. La liste des personnalités qui sont déplacées aux Métallos est, en effet, impressionnante : les philosophes Jean-Luc Nancy, Etienne Balibar, Elsa Dorlin, Toni Negri, les sociologues Luc Boltanski, Robert Castel, Eric Fassin, Frédéric Neyrat, l'historienne Sophie Wahnich, le philosophe et psychanalyste Bertrand Ogilvie, le psychiatre Christophe Dejours, le président du syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle, ou encore le magistrat Eric Alt... Au fond, chacun essaie de répondre à la question : dans quel monde vivons-nous, et comment pouvons-nous le rendre plus juste, plus fraternel, plus sensible ? Ou, pour reprendre les mots de Michel Butel, fondateur de L'Autre Journal (1984-1992), qui vient de lancer en mars un nouveau journal, L'Impossible, format Le Monde plié en quatre : Que faisons-nous de notre "bref passage sur Terre" et avons-nous une chance de "voler dans l'azur" ? Toni Negri entrevoit une lueur : pour sortir de la pauvreté, dit-il, "il faut que la liberté soit garantie par un revenu général". LE PARI AUDACIEUX DE THOMAS LACOSTE Qui a pu réunir un tel plateau ? Qui a pu obtenir de ces universitaires, habitués aux longs développements devant leurs étudiants, qu'ils limitent leur temps de parole à cinq minutes ! Cinq fois soixante secondes, donc, et quelques-unes de plus si nécessaire, pour l'analyse de l'état des lieux et les propositions... Il fallait être un peu fou, et avoir un sacré carnet d'adresses, pour entreprendre un tel projet. Thomas Lacoste, 40 ans, semble taillé pour ce type d'aventure. Sa vie, depuis son adolescence, c'est le débat d'idées. Et aussi le cinéma, la musique, les arts plastiques - certains de ses films, les très engagés ciné-frontières, sont enrichis de nombreux extraits d'oeuvres. A l'âge de 22 ans, en 1992, il avait fondé Le Passant ordinaire, dans le but de faire partager au plus grand nombre des pensées critiques, exprimées par des intellectuels que l'on entend trop peu. En 2007, il avait animé L'Autre campagne, un dispositif visant à démonter le programme du candidat UMP Nicolas Sarkozy, à travers des films-entretiens avec ses amis universitaires - un coffret de quarante-sept films entretiens, intitulé Penser critique, vient de sortir aux éditions Montparnasse. Cette fois-ci, l'animateur du réseau La Bande passante veut aller plus loin en montrant qu'il existe des solutions. Son film s'intitulera Notre monde. Produit par Agat Films, ce work in progress promet d'être aussi politique que poétique, mêlant des entretiens, de la fiction, des clins d'oeil cinématographiques, des créations sonores. L'intime, le sensible et le politique sont très fortement liés. Le tournage s'achève ce vendredi 13 avril. Montage dans la foulée. Ensuite, c'est l'inconnu : le Festival de Cannes, en mai ? Une sortie en salles, pendant la campagne des élections législatives, en juin ? TOURNAGE DU FILM "NOTRE MONDE. JOUR 5. FRÉDÉRIC NEYRAT. PREMIÈRE" Nous avons suivi la journée de travail du mardi 10 avril. "Notre monde. Jour 5. Frédéric Neyrat. Première". Clap ! "Action", lance Thomas Lacoste à son équipe, vers 10 h 30. Ne cherchons pas les acteurs. La seule comédienne présente, sur le lieu, se nomme Marianne Denicourt. Mais elle est aussi réalisatrice et, à cet instant, c'est derrière la caméra que se trouve l'égérie du cinéma d'auteur. "Le projet de Thomas est généreux, et optimiste. Je lui ai proposé de lui donner un coup de main en deuxième caméra. J'avais aussi envie d'écouter toutes ces personnes", explique-t-elle, entre deux prises. Elle fera des apparitions dans le film, comme actrice, telle une Marianne déambulant dans une République en chantier. Au studio numéro 3, la matière grise défile. Le dispositif est le même pour tout le monde : un cadrage sur fond noir, sans fioriture. L'invité s'installe sur une chaise, parle sans être interrompu. En face de lui, Thomas Lacoste l'accompagne du regard. A côté de lui, deux femmes à la caméra : la chef-opérateur Irina Lubtchansky, qui a travaillé avec Jacques Rivette, et Marianne Denicourt, donc. La lumière, le son et le cadrage sont prêts. "Nous sommes au service de ta parole", explique Thomas Lacoste à Frédéric Neyrat, sociologue, professeur à l'université de Limoges, qui va aborder le concept d'"Univers Cité". Il se lance. Nicolas Sarkozy se vante d'avoir réussi la réforme de l'université ? Il n'en est rien. Pour lui, la "mise en concurrence" des universités est en train d'agrandir les "inégalités" entre les étudiants, et va "stériliser la recherche" en instaurant "une course à la publication". "On publie de plus en plus, mais on ne débat plus de ce que l'on publie. C'est l'éclipse du savoir". L'éventuelle élection de François Hollande n'y changerait pas grand-chose, estime-t-il : "Ce sont les mêmes conseillers, en partie, qui hantaient l'Elysée et la rue de Solférino au moment de la réforme". Sans attendre, il propose de "changer la vie" dans les universités par une mesure symbolique : "J'appelle chaque chercheur à ouvrir ses cours à tous et à chacun. L'université doit être ouverte sur la Cité". Il y voit plusieurs avantages : cela permettrait de sortir l'université de son entre-soi ; le public des cours se diversifiant, la nature du cours elle-même évoluerait ; chacun pourrait accéder à des connaissances, "dans l'esprit de l'éducation permanente selon Condorcet, qui remonte à 1792". Les étudiants échapperaient enfin à la "marchandisation de la formation" qui sévit aujourd'hui. Le temps est épuisé, Frédéric Neyrat a pu vider ses cartouches. "C'est parfait", salue l'équipe. Mais le professeur a la voix qui porte. On refait une prise, plus posée. Ce sera la bonne. JEAN-PIERRE DUBOIS ET LES INÉGALITÉS Prochain invité de la matinée, Jean-Pierre Dubois, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, et juriste. Au programme, la fiscalité et le creusement des inégalités. Une autre belle mécanique se met en route. "La moitié de mes étudiants n'arrivent plus à soigner leurs dents et leurs yeux", commence le professeur de droit public à l'université Paris XI. "Sans égalité, seuls les dominants restent libres". "La crise, c'est d'abord un gigantesque problème d'inégalités", un énorme "transfert" des revenus des plus pauvres vers les plus riches. L'intellectuel remet à plat tout le système fiscal français, impôts directs, impôts indirects, bat en brèche des idées reçues. Dire que la moitié des ménages ne paie pas d'impôts n'est pas juste, selon lui : "un SDF paie des impôts via la TVA", impôt indirect que tout le monde acquitte. "Plus on est en bas de l'échelle, plus la note s'alourdit". Anne Fassin, première assistante de Thomas Lacoste, fait un signe avec la main, pour indiquer le temps écoulé. Plus que deux minutes pour les propositions. Donner la priorité à l'impôt direct, le rendre plus progressif, réatblir la plénitude de l'assurance-maladie, égrène Jean-Pierre Dubois. La journée se poursuit avec Nacira Guenif-Souilamas, sociologue (université Paris XIII), qui décrypte comment les minorités, en particulier "les femmes opprimées", sont instrumentalisées par le politique pour, au fond, maintenir l'ordre. L'égalité des sexes affichée par le pouvoir n'est qu'un "smic minimal". Suivent Matthieu Bonduelle, président du syndicat de la magistrature, qui plaide pour une décroissance pénale ; Michel Butel, qui tire à boulets rouges sur la presse écrite et rêve de médias ne disposant pas d'autre argent que celui de leurs lecteurs, ou d'une communauté d'amis. UNE SOIRÉE DE DÉBATS À LA MAISON DES MÉTALLOS Mercredi 11 avril, le tournage bascule dans une autre dimension. La grande salle des Métallos sert de décor à une soirée où s'expriment, sur scène, selon le même protocole - cinq minutes et puis s'en vont - les intellectuels invités sur le film. C'est toute la difficulté de transmettres ces propositions, en quelques mots. Certaines sont tellement radicales qu'elles pourraient faire passer leurs auteurs pour de doux rêveurs. Et pourtant, ces intervenants savent de quoi ils parlent : cela fait des années qu'ils explorent des pistes, souvent peu médiatisées. Alors, allons-y, parcourons quelques pistes explosives, dans le domaine de l'école, par exemple : Bertrand Ogilvie (université Paris X) affirme que l'école a pour projet de générer de l'échec et parle de supprimer les manuels scolaires. Quelques instants plus tard, Christophe Mileschi, italianiste (Paris X également), se focalise sur l'école primaire et plaide pour des classes à huit élèves maximum. "En italien, talento signifie désir !", lance-t-il derrière le pupitre en plexiglas. Parions sur l'envie des lecteurs d'en savoir plus. Au chapitre "Genre et féminisme", l'anthropologue Françoise Héritier voudrait que l'on puisse comptabiliser le travail domestique dans le calcul de la richesse produite en France. Et que le temps passé à garder les enfants en bas âge "compte double" pour l'attribution des points de retraite. La jeune philosophe Hourya Bentouhami (université Paris VII) se désole de voir que le travail des femmes d'origine étrangère - souvent du nettoyage à temps partiel, avec des horaires qui les empêchent la plupart du temps d'être à la maison en-dehors du temps scolaire - soit à ce point déconsidéré, voire invisibilisé par le pouvoir politique. Il faut mettre en valeur ce travail, comme facteur d'insertion, plutôt que de stigmatiser ces femmes comme des parents démissionnaires, dit-elle. Séquence "Immigration et frontières". Le philosophe Etienne Balibar ironise sur le discours récurrent de cette campagne électorale : "Il m'a semblé entendre dire, il nous faut des frontières, à l'intérieur de l'Europe. Encore faudrait-il que l'Europe existe. L'Europe est non seulement en danger, mais elle est morte". Etienne Balibar pourrait bien sûr longuement argumenter ce dernier point, mais un petit signal sonore lui indique qu'il va falloir conclure. Il pointe l'insidieuse tendance selon laquelle "plus les frontières entre les nations ont l'air de s'estomper, plus les frontières sociales se renforcent". L'historienne Sophie Wahnich, directrice de recherche au CNRS, appelle à investir de nouveaux espaces politiques - le préau de l'école, image symbolique - car les lieux de débats sont en train de disparaître : "les partis politiques sont trop occupés à désigner des candidats à la candidature, les syndicats à calmer le jeu, et l'Assemblée nationale à suivre l'agenda du gouvernement". Plus qu'une soirée de débat, c'est à une performance que l'on a assisté. Thomas Lacoste espère bientôt passer à la deuxième étape. Le partage et la confrontation avec un large public. Des spectateurs dans une salle de cinéma ? Les salles n'ont jamais été aussi remplies qu'aujourd'hui, il ne faut donc pas désespérer... Thomas Lacoste filme "Notre Monde" Par Clarisse Fabre Le 8 décembre 2012 |
Un documentaire citoyen passionnant qui nous pousse à réfléchir sur l’état actuel de notre monde en présence de nombreux intellectuels aux points de vue radicalement différents de ceux entendus ad nauseam à la télévision.
L’argument : Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean-Luc Nancy à « une pensée commune ». Loin d’un monde rêvé ou inaccessible, c’est bien d’un ensemble foisonnant de propositions concrètes qu’il s’agit de faire émerger pour pallier les dysfonctionnements et impasses actuels. Mais plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde agit comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement. Thomas Lacoste nous offre ici une grande respiration, comme un temps de pause, face au rythme haletant de la vie politique. © Shellac Distribution Notre avis : Le discours le plus largement répandu de nos jours est entièrement gagné à la cause du néo-libéralisme, que ce soit dans les débats télévisés gangrénés par des experts triés sur le volet (voir en cela l’éclairant Les nouveaux chiens de garde) ou dans le discours politique, y compris à gauche. Si la résistance à cette pensée unique s’organise sur certaines radios, elle est surtout visible dans la prolifération au cinéma de documentaires que l’on pourrait qualifier d’alternatifs. C’est clairement dans cette mouvance que s’inscrit le nouveau long-métrage de Thomas Lacoste, connu pour avoir réalisé un certain nombre de documentaires appelés Ciné-frontières. Le but de cette série d’entretiens avec des intellectuels venus de tous les horizons est de réfléchir à l’état du monde actuel et aux moyens nécessaires pour pouvoir le changer. © Shellac Distribution Durant deux heures très denses et passionnantes, le spectateur est appelé à réfléchir aux grands thèmes qui secouent la société actuelle. On évoque ainsi le vivre ensemble, l’éducation, la santé, le travail, l’immigration, l’économie, l’Europe ou encore la démocratie à travers une suite d’entretiens qui permettent de dresser un constat assez accablant de la situation actuelle. Mais la grande avancée par rapport à d’autres documentaires qui ne font que s’alarmer et s’indigner, c’est que les différents intervenants proposent des solutions face à ces problèmes de fond. Certes, bon nombre de propositions passent par une redéfinition complète des rapports sociétaux et risquent bien de n’être que des vœux pieux, mais certaines idées peuvent vraiment faire l’objet d’une réflexion collective enthousiasmante. © Shellac Distribution Afin de ne pas rendre cette série d’entretiens trop aride, Thomas Lacoste tente de les filmer autrement, en dévoilant notamment son dispositif formel au public et en impliquant donc toute l’équipe technique dans le champ de la caméra. Il se sert également d’extraits de conférences organisées avec un public. Autant d’éléments qui parviennent à dynamiser la projection, au point que l’on trouve même le film trop court par rapport à l’ampleur des chantiers évoqués. Autre innovation, le réalisateur met à disposition du public via un site internet (cf adresse ci-dessous) l’intégralité des entretiens réalisés avec les sociologues, philosophes, économistes conviés pour l’occasion. Une belle initiative qui pourrait aussi servir de plate-forme à des discussions entre citoyens afin d’éveiller les consciences. Si le long-métrage de Thomas Lacoste est nettement orienté à gauche, tous les citoyens sont toutefois conviés à venir réfléchir aux enjeux de notre monde. La présence d’un certain nombre de philosophes permet notamment de gagner une certaine hauteur de vue qui, elle, n’a rien de partisane. Notre Monde - La critique du documentaire citoyen de Thomas Lacoste Virgile Dumez |